
Jean-Louis Blenet n’a pas la
langue d’oc dans sa poche
C’est acquis, Jean-Louis Blenet parle beaucoup. Et souvent pour défendre les langues minorées en général et la langue d’oc en particulier. Car l’homme de théâtre est une sorte d’avocat révolté sur le sort désolant réservé « aux langues
de pays. Quand on pense qu’on habite le Languedoc, tout devrait être dit et pourtant… »
Pourtant, l’Unesco a classé l’occitan « en sérieux danger de disparition » : « En 1910, 90 % des gens du territoire parlaient la langue d’oc. Au début des années 2000, c’était moins de 10 % », regrette Jean-Louis Blenet qui ne veut pas se résoudre à voir sa langue de coeur mourir : « La langue qui a donné le mot amour au français ne peut pas disparaître », dit-il.
L’homme est féroce contre « le centralisme français, des décisions prises dans trois arrondissements parisiens qui n’ont de cesse d’a!aiblir la pratique de la langue ». Lui qui estime que le français se comporte « en langue coloniale et impériale ». Sévère, l’homme de culture pense que le salut de l’occitan passera invariablement par l’enseignement. Ce qu’il s’est attaché à démontrer depuis un demi-siècle : « Toute ma vie, j’ai créé des outils pour faire avancer la cause. »
D’abord par les calandretas (petite alouette en français). Ces écoles immersives où l’on partage un enseignement inspiré de la pédagogie de Célestin Freinet, basée sur l’autonomie de l’enfant et tournée vers la citoyenneté et le partage. « Entre le théâtre et les calandretas, Jean-Louis Blenet a apporté une contribution significative à la cause de l’occitan, souligne Benjamin Assié, conseiller régional d’Occitanie, en charge des langues occitane et catalane. Désormais, il faut aller plus loin avec une vraie politique publique d’enseignement pour aller vers le bilinguisme. C’est une demande de plus de 80 % des habitants de la région et en particulier des nouveaux arrivants. »
Un plébiscite dont a conscience Jean-Louis Blenet, lui qui s’est battu pour que ses enfants bénéficient de cet enseignement. D’ailleurs, en famille, naturellement, on ne se parle qu’en occitan. Il aime raconter comment ses petits-enfants, dont l’un est né et vivait au Mexique, parle avec son cousin quand il le retrouve en France « en occitan. Pour eux, c’est naturel. » Au point qu’Estelle, l’une de ses filles, parle d’une « langue paternelle. Je n’ai jamais parlé à mon père autrement qu’en occitan. En français, je crois que je n’y arriverai pas. L’occitan, c’est la langue de la famille. »
Après avoir pris la tête de la Confédération Calandreta, défendu bec et ongles le Cirdoc (Centre international de recherche et de documentation occitanes), Jean-Louis Blenet va créer l’ISLRF. L’Institut supérieur des langues de la République française fondé en 1996 pour former des professeurs : « Pour changer le monde, commençons par changer l’école. » Sous la houlette de l’institution, les langues régionales s’unissent : basque, breton, alsacien, corse, catalan… et occitan. « J’admire le travail immense que Jean-Louis a réalisé. Il s’est battu pour que l’on ne soit pas isolés. Il a fait preuve de pugnacité et de patience », reconnaît Peio Jorajuria, écrivain et militant de la cause basque, président de la fédération Seaska. Des écoles immersives équivalentes aux calandretas sur un territoire où « il y a moins d’écoles mais beaucoup plus d’élèves ». Des écoles qui démontrent que les enfants qui y passent « sont meilleurs dans la plupart des matières, en particulier en mathématiques », ajoute Benjamin Assié.
Frêche aurait pu devenir le Jordi Pujol d’Occitanie
Pourtant, rien ne prédisposait vraiment Jean-Louis Blenet à prendre ce flambeau de la défense de l’occitan. Né à Casablanca en 1951, où ses premiers mots seront du berbère, il partira du Maroc à l’âge de 3 ans pour retrouver la terre maternelle d’Ariège où l’aîné d’une fratrie de cinq enfants (deux soeurs et deux demi-soeurs) fera sa scolarité en pension à Saint-Girons. C’est dans la campagne ariégeoise et surtout dans les dortoirs de l’école qu’il apprendra l’occitan, « une langue déjà mal traitée. Il fallait parler pointu pour être bien vu », se souvient-il. L’occitan, la langue des paysans, des sans-grade, sera aussi celle de la révolte vigneronne. Il garde en souvenir les grandes manifestations de 1976. “Viure al pais” voulait défendre un mode de vie, une langue, « une culture qui s’oppose au centralisme jacobin. A Montpellier, on était 100 000 personnes sous la pluie », se souvient-il. C’est aussi l’année de l’a!rontement sanglant de Montredon qui fera deux morts.
Il quitte l’Ariège pour Montpellier et faire des études, selon le voeu de sa mère. Bachelier en 1969 dans les années insouciantes et militantes post-68, il fera une fac d’économie pour faire plaisir à son père avant de rejoindre l’université Paul- Valéry « parce qu’il y avait plus de filles », sourit-il aujourd’hui. C’est d’ailleurs pour les beaux yeux d’une belle qu’il poussera la porte du théâtre, activité dont il fera son métier qu’il ne quittera plus jamais : « J’ai compris très tôt qu’un pays qui ne réfléchit pas à sa culture n’a pas de tête. » Comédien, metteur en scène et directeur de compagnie de théâtre, il crée avec Bruno Cécillon la compagnie professionnelle de la Rampe, devenue la Rampe TIO (Teatre interregional occitan) en 2000.
Son combat pour faire coexister la langue et la culture occitanes au coeur de sa démarche artistique n’auront plus de limite : « Globalement, on a plutôt réussi. L’occitan n’est plus un patois, c’est une langue. On a gagné en légitimité et en attractivité. » Élève de l’urbaniste qui a façonné Montpellier Raymond Dugrand, il renoncera à créer un bureau d’études et sera de tous les combats en faveur de la langue d’oc. Soutien de Georges Frêche en 1971, il estime qu’il faut « alphabétiser culturellement les élus ». De Frêche, Jean-Louis Blenet regrette qu’il ne soit pas allé assez loin : « Il aurait pu être le Jordi Pujol d’Occitanie. Mais il a préféré rester clapassien. C’est dommage », dit-il déçu. Pour le comédien, qui joua récemment dans la toute première série télé en occitan, La Seria, une langue régionale, c’est une identité, un patrimoine, un outil de culture mais aussi un objet hautement politique : « L’occitan peut même servir la cause identitaire avec les jeunes issus de l’immigration, car la langue n’est pas reliée, contrairement au français, à une idée coloniale. » Le champ des possibles est et reste immense. Il reste du travail. Et si les langues régionales pouvaient soigner les maux d’une Europe malade pour laquelle on vote ce dimanche ? Jean-Louis Blenet, y croit et pour lui, « lo combat contunha ».
Yannick Povillon
ypovillon@midilibre.com

0 commentaires